Urbex : késako ?

Vous avez peut-être déjà croisé le terme « urbex » sans forcément y prêter attention. Ce n’est pas du latin. Ce n’est pas non plus une pratique sexuelle (cela dit, avec de l’imagination…) 😆

Mais alors, qu’est-ce que c’est ?

DÉFINITION

L’urbex est la contraction d’«urban exploration», autrement dit «exploration urbaine» dans notre bonne vieille langue franchouillarde. Sa pratique consiste à explorer (sans déconner) des lieux laissés à l’abandon, sans distinction de type : cela peut aller des friches industrielles aux hôpitaux en passant par des demeures personnelles, des châteaux, des églises, des parcs d’attraction, des bateaux, etc.

On note une variante lorsque l’exploration s’effectue plutôt en milieu rural : on parlera alors de «rurex» («rural exploration»).


LA PRATIQUE EST-ELLE RÉGLEMENTÉE ?

Nous allons devoir dissocier juridique et éthique.

L’ASPECT JURIDIQUE

De deux choses l’une : soit vous visitez un lieu public et c’est tout à fait légal (sauf s’il a été fermé au public pour raisons de sécurité, par exemple), soit vous visitez un lieu privé et vous serez en violation de domicile. De plus, si vous crochetez une serrure, que bous brisez une vitre ou forcez une porte pour entrer, là ce sera avec effraction et ça commence à chiffrer…

Dans le cas de lieux gardés, vous pouvez très vraisemblablement finir face à un gardien qui peut, en fonction de son humeur et de votre comportement :

  • vous gronder et vous raccompagner à la sortie
  • vous adresser un procès-verbal, prendre vos noms
  • appeler la police ou la gendarmerie
  • vous tirer dessus euh non, on n’est pas aux États-Unis. Mais soyez prudents quand même !

L’ASPECT ÉTHIQUE

Dans l’idée, un explorateur respectueux :

  • n’apporte rien sur place qui n’y était pas auparavant ;
  • n’emporte rien avec lui qui se trouvait sur place ;
  • n’abîme ni ne touche (idéalement, y compris pour des raisons sanitaires) aucun élément sur place ;
  • laisse l’endroit comme il l’a trouvé, comme s’il n’y était pas passé, sans effraction ;
  • ne divulgue pas le lieu pour lui éviter une dégradation accélérée ;
  • fait attention aux indices laissés au niveau des photos (visuels, mais aussi métadonnées).

Les deux derniers points sont particulièrement importants. Lorsqu’on découvre un lieu en urbex ou en rurex, on peut être tenté de partager l’adresse aux amis bien intentionnés. Toutefois, un secret partagé n’en est plus un, et il faudra bien peu de temps avant que le secret soit devenu de notoriété publique et que l’état du lieu se dégrade, par les visites indélicates, les voleurs, pilleurs, casseurs, taggueurs, squatteurs et autres personnes au comportement malveillant.

Aussi, si vous trouvez un lieu et que vous aimeriez le voir durer encore quelques années en (relativement) bon état, prenez sur vous et gardez votre adresse. Vous pourrez toujours la partager en image, en veillant à ne pas divulguer de détails permettant de localiser le lieu en question.


LES PRATIQUES ASSOCIÉES À L’URBEX

L’exploration urbaine attire et regroupe des personnes avec des centres d’intérêts différents, et la cohabitation est parfois difficile, l’empreinte laissée par chacun n’étant pas la même. Je vous propose, au risque de m’attirer les foudres de certains, un classement croissant des pratiques par le risque de détérioration qu’elles impliquent.

L’EXPLORATION PURE

Il s’agit de la motivation originelle : le plaisir de découvrir et d’explorer des lieux ayant connu de l’activité auparavant et étant encore imprégnés d’une histoire. Parfois, s’y ajoute l’adrénaline liée à la transgression de l’interdit (en pénétrant dans un lieu privé, par exemple) ou celle liée à la simple peur de l’inconnu, du côté lugubre de certains lieux.

Les explorateurs purs et durs peuvent passer beaucoup de temps dans un lieu s’ils s’y sentent bien, par exemple dans un château abandonné, on trouve parfois de beaux restes et le cadre peut inviter au repos ou à la lecture.

Un peu de repos et de lecture ?

LA PHOTOGRAPHIE

Très tôt, la photographie s’est immiscée dans la pratique de l’urbex. En effet, les lieux sont souvent insolites et parfois beaux. Aussi, de simples souvenirs d’exploration, la pratique a rapidement tendu vers de la production artistique, à tel point que l’urbex est devenue une discipline photographique à part entière et qu’on associe souvent le terme à la photographie, par défaut.

A noter que l’un des traitements très populaires est le HDR dans cette discipline. Le HDR fera l’objet d’un article dédié car c’est un peu comme la musique électronique : ça peut être super quand c’est fait avec talent, mais le meilleur côtoie le pire, et on croise principalement le pire, hélas… :-S

Il existe également des forums —on devrait dire fora— spécialisés dans cette discipline photographique mais c’est un peu comme une loge maçonnique : on n’y entre quasiment que sur recommandation, après examen d’une candidature par un collège d’initiés, etc. C’est un monde un peu fermé, qui se protège des personnes cherchant simplement à glaner des adresses pour des motifs incertains.

L’AIRSOFT

L’airsoft est une activité consistant à répliquer pour jouer des groupes paramilitaires (tenues, répliques d’armes, organisation en équipes, etc.). Elle se pratique avec des répliques (copies d’armes réelles) tirant de petites billes à puissance modérée et, de loin, ressemble à une situation de guerre ou de guérilla urbaine. Les adeptes de la pratique cherchent souvent des lieux qui s’y prêtent, et on se lasse vite des forêts. Aussi, lorsque l’on trouve une usine désaffectée ou un vieux sanatorium, la tentation est grande 😉

Cette activité se pratique en club et les parties sont déclarées auprès des collectivités territoriales compétentes (mairies, préfectures, etc.), avec l’autorisation écrite du propriétaire si cela se tient dans un lieu privé. Les billes utilisées doivent être entièrement biodégradables afin de ne pas (trop durablement) polluer les lieux. A noter que les tirs peuvent tout de même occasionner des dommages légers.

LE PAINTBALL

Le paintball, qui se pratique avec des lanceurs non réalistes mais très puissants, et qui envoient des billes de peinture (parfois lavable à l’eau) laissent au contraire beaucoup de stigmates aux lieux qui accueillent (malgré eux) les parties. En effet, les parties sont en général sauvages car les autorités ne délivrent pas d’autorisation, et les dégâts sont parfois très importants. Il existe des clubs de paintball respectueux, comme pour l’airsoft. Toutefois, lorsque ce n’est pas le cas, les conséquences sont bien plus visibles 🙁

LES TAGS ET LES GRAFFS

Pas besoin de trop développer ce point : les murs abandonnés en tous genres sont la proie des tags, disgracieux au possible, et parfois, un peu mieux, de graffs. Les graffs sont des fresques souvent complexes et colorées, réalisées avec un minimum de sens artistique. Il arrive même qu’un graff habille habilement un lieu, mais là, on est aux frontières du réel.

Un exemple de graff plutôt sympa, même s’il est complètement hors contexte :

Dommage pour les tags autour et au fond…

Un exemple de tag infâme ? Peut-être celui du Château Lumière :

© 2014 proj3ctm4yh3m

Je ne sais pas vous, mais moi, ça me désole ; ce n’est que du vandalisme gratuit, le message est d’un niveau médiocre et on ne peut pas vraiment parler de penchant artistique…

LE PILLAGE ET LA CASSE

Bon ben là on descend au niveau zéro de l’échelle de l’humanité : les gens sans principe. Cela a été observé dans tous les lieux dont la position a été rendue publique sur Internet : en quelques mois, tout disparaît, tout est cassé. Le carrelage, les boiseries, les tapisseries, les peintures, sculptures, ornements sont pillés. Le reste est cassé, parfois brûlé.

On est à l’autre extrémité de la chaîne de l’évolution, on est au niveau de la dégénérescence. Bref, c’est la raison #1 de garder les adresses confidentielles.


LE KIT DU BON EXPLORATEUR

Car rien ne vaut une bonne préparation pour affronter l’imprévu, je vous propose quelques conseils pour une expérience agréable en sécurité.

PATIENCE, PERSÉVÉRANCE ET MÉTHODE

Avant toute chose, il vous faut trouver un lieu intéressant. C’est plus facile qu’à faire. La tendance naturelle est de demander aux autres de partager leurs lieux mais pour les raisons évoquées ci-dessus, cette méthode devrait (je l’espère) être infructueuse. Par ailleurs, trouver un lieu par soi-même est gratifiant, d’autant plus s’il n’est pas connu et qu’il vaut le détour.

Donne un poisson à un homme et il mangera un jour. Apprends-lui à pêcher et il mangera toute sa vie.

Vous connaissez ce vieil adage, supposément énoncé par Maïmonide ? Eh bien c’est un peu pareil. Je préfère vous fournir une boîte à outils pour vous inciter à bricoler par vous-même plutôt que de faire le boulot à votre place.

La méthode s’appuie sur le bon sens : il vous suffit d’être curieux et de se promener. Parfois, de mener un peu l’enquête. Sortez de votre cercle de confort, promenez-vous à pied, à vélo, en voiture, dans des lieux que vous ne connaissez pas. Marchez en forêt, sortez des sentiers battus. Faites du repérage avec Google Maps ou Google Earth, surveillez les journaux locaux qui indiquent les fermetures d’usine, par exemple, et tentez votre chance 3 mois plus tard. Essayez de dénicher des indices sur les photographies de lieux qui vous intéressent pour parvenir à les localiser. Ça peut être un numéro de téléphone, le nom d’une entreprise, le type de végétation, l’architecture, bref : les éléments sont souvent là, reste à établir une corrélation et à faire preuve de persévérance.

Enfin, lorsque vous trouvez une adresse, partez du principe que ça ne donnera peut-être rien. C’est le jeu. C’est souvent fermé, gardé, non praticable, en rénovation, squatté ou le mauvais état du lieu lui faire perdre son intérêt, tout simplement. Mais continuez les recherches, si vous voulez vraiment trouver.

LA TENUE ET LES OBJETS/OUTILS

LA TENUE

Le mieux est une tenue décontractée qui ne craigne pas d’être abîmée et qui vous protège suffisamment si vous avez besoin de vous frayer un chemin dans la végétation ou de crapahuter dans des ruines. Préférez une tenue qui couvre bien tout le corps, à manches longues, éventuellement un vieux jean pas trop serré, des baskets solides ou des chaussures de rando.

Évitez la tenue de camouflage militaire ou la tenue de ninja/rôdeur en tout noir, ces styles vous desserviront en cas de contrôle par un gardien ou la police… Mieux vaut ressembler à ce que vous êtes : des promeneurs curieux, souhaitant vivre une petite aventure sans une once de malveillance.

LES OBJETS/OUTILS

Prévoyez un téléphone à la batterie bien chargée, une corde, éventuellement un couteau suisse, une lampe torche. Une petite bouteille d’eau dans un sac à dos, une ou deux barres de céréales, éventuellement un bouquin si vous comptez vous poser sur place. Peut-être un petit carnet de notes et un crayon, pour relever des infos/détails, si nécessaire. Si vous craignez pour votre sécurité, un simple sifflet peut être dissuasif. Les plus peureux compteront peut-être sur un spray au poivre, mais sachez que c’est interdit et qu’en cas de contrôle, ça peut jouer en votre défaveur.

Bref, pas besoin d’apporter sa valise, le but est de rester mobile tout en étant suffisamment prévoyant pour se tirer d’un mauvais pas assez rapidement.

LE COMPORTEMENT

PENDANT L’EXPLORATION

Discrétion, respect et sécurité sont les trois maîtres mots. Surveillez vos arrières, observez avant de vous engager, évoluez silencieusement. Ne cassez rien, ne prenez rien. Prenez votre temps mais ne restez pas à découvert.

Repérez les zones glissantes, les planches vermoulues, les trous dans le plancher, les escaliers fragiles. Dans le doute, abstenez-vous : une exploration doit rester une expérience positive. Des personnes trouvent malheureusement la mort par excès de négligence ou parfois par simple malchance. Ne faîtes pas les faits divers, hein.

Si un lieu montre des signes d’habitation, méfiance. Si vous voyez des vêtements ou des vivres, c’est que l’endroit est certainement squatté et vous ne voudriez pas faire de mauvaise rencontre.

EN CAS DE CONTRÔLE

Mon conseil : jouez-la cool. Pas de tentative de fuite. Vous avez joué, vous avez perdu. Avancez calmement vers votre interlocuteur, en montrant bien que vous n’êtes pas agressif ni dangereux. Arrondissez les angles, excusez-vous et expliquez que vous faites ça par loisir, sans volonté de nuire. Évitez le cynisme ou la critique, vous êtes déjà en tort.

Dans le pire des cas, si vous tombez sur un imbécile, vous aurez peut-être une amende. Mais mieux vaut ça qu’un tour au poste, non ? Par ailleurs, mettez-vous à la place du service de sécurité et demandez-vous comment vous réagiriez à la découverte d’inconnus sur un lieu interdit. Faîtes en sorte de gagner leur confiance.

La dernière fois que ça m’est arrivé, j’ai procédé comme ça et le gardien m’a raccompagné tranquillement, en discutant du lieu et des personnes moins « bienveillantes » qu’il a pu rencontrer. Finalement, le bonhomme fait des rondes toute la journée et s’ennuie, alors on a fait un peu causette et ça avait l’air de lui changer les idées. Ça s’est bien fini, même si l’exploration a été avortée. On n’est pas des bêtes. 😉


LE MOT DE LA FIN

Je ne l’ai pas précisé dans l’article alors je vais le faire maintenant : je vous recommande chaudement d’explorer au moins à deux. Pas forcément à 10 non plus, car il faut rester discret. Mais deux ou trois, c’est bien. En cas de problème, les autres peuvent aider. On se protège les uns les autres, et chacun voit des choses qui peuvent échapper aux autres, donc c’est bénéfique à tous.

Alors, ça vous tente ? Je vous laisse quelques photos pour vous donner une idée.




BONUS

Si vous avez de la chance, ça ne vous arrivera peut-être pas !

Une exploration culottée du Costa Concordia :